La Gazette Drouot – Janvier 2017

 

Qu’est-ce que le principe d’indépendance d’une œuvre et de son support ?
A quelles œuvres ce principe s’applique-t -il ?
Quelles sont les conséquences pratiques pour le propriétaire d’une œuvre d’art ?

Qui n’a jamais savouré, confortablement installé dans le fauteuil de son salon, ses dernières acquisitions en matière d’art ? Aujourd’hui, ces œuvres vous procurent une satisfaction voire un bonheur ineffable. Mais êtes-vous sûr d’en être vraiment le propriétaire ? Un faux ? Une arnaque ? Non, juste un point de droit que nous souhaitons rappeler. En effet, l’œuvre d’art est un bien particulier puisqu’il recèle une œuvre immatérielle créée par un artiste. Aussi, lorsque vous achetez ce type de bien, vous ne devenez propriétaire que du support matériel de cette œuvre (un cadre et une toile, du bronze, du papier, etc…) et non de la création immatérielle qui y est incorporée (la nature morte, un portrait sculpté, un dessin...). Cette spécificité résulte du principe d’indépendance posé par l’article L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle : « La propriété incorporelle définie par l'article L. 111-1 est indépendante de la propriété de l'objet matériel ».

Origine et éclairage sur le principe d’indépendance - Le droit de propriété constitue la pierre angulaire de notre système juridique. L’article 544 du Code civil confère ainsi au propriétaire d’un bien le droit d’en jouir, de percevoir les fruits générés par son exploitation et d’en disposer. En parallèle de ce puissant droit s’est développée au 18ème siècle l’idée que l’artiste se devait d’être protégé. Plusieurs lois révolutionnaires vont ainsi poser les fondements du droit d’auteur en lui conférant un monopole d’exploitation et un droit de propriété sur son œuvre. Dans le domaine de l’art, les juges vont toutefois continuer à nier les droits reconnus aux artistes en considérant que l’acquéreur d’une œuvre d’art devenait également propriétaire de l’œuvre qui était incorporée au support. Cette résistance va obliger le législateur à intervenir par l’adoption de la loi du 9 avril 1910 : "L'aliénation d'une œuvre d'art n'entraîne pas, à moins de convention contraire, l'aliénation du droit de reproduction ». Devenu l’article 29 par la loi du 11 mars 1957, puis L 111-3 par la loi du 13 juillet 1992, ce principe d’indépendance a désormais une portée généraliste : « La propriété incorporelle définie par l'article L. 111-1 est indépendante de la propriété de l'objet matériel ». En conclusion, coexistent sur une œuvre d’art un droit de propriété « classique » au profit du propriétaire du support de cette œuvre et un droit de propriété incorporel au profit du créateur de cette œuvre. L’acquisition d’une œuvre d’art ne fait de vous que le propriétaire du support et n’emporte en rien la cession de la propriété des droits d’auteur, sauf disposition contractuelle contraire. Et réciproquement, le créateur qui cède ses droits d’exploitation sur son œuvre ne cède pas, sauf disposition contractuelle contraire, le support matériel de cette œuvre.

A quelles œuvres d’art ce principe s’applique-t-il ? – Ce principe s’applique à toute œuvre d’art. Mais qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Pour étonnant que cela puisse paraître, il n’existe pas de définition. Pour obtenir un début de définition, il convient d’effectuer un détour par la notion d’œuvre de l’esprit. Ces œuvres dites de l’esprit sont listées à l’article L 112-2 du code de la propriété intellectuelle et dans cette liste figurent : «  (…)7° Les oeuvres de dessin, de peinture, d'architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie, 8° Les oeuvres graphiques et typographiques, 9° Les oeuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie, 10° Les oeuvres des arts appliqués (…) ». Une œuvre d’art est en quelque sorte une sous-catégorie de l’œuvre de l’esprit. Toute œuvre figurant dans cette liste, qui n’est pas limitative, serait donc une œuvre d’art. Toutefois, s’ajoute une condition supplémentaire : l’œuvre doit être originale c’est-à-dire qu’elle doit, selon la jurisprudence, recéler « l’empreinte de la personnalité de son auteur ». L’appréciation de cette notion est éminemment subjective, surtout lorsqu’elle est confrontée à l’art conceptuel. A titre d’illustration, la sculpture oblongue en marbre et bronze « L’Oiseau dans l’espace » créée par Constantin BRANCUSI en 1926 a été vue comme un simple bloque de marbre par la douane américaine et non comme une œuvre d’art de sorte que lui fût appliqué la taxe réservée aux matières brutes au lieu d’être exonérée de toute taxe du fait de son statut d’œuvre d’art. Plus récemment, les juges ont dû trancher la question de savoir si deux plaques de zinc matrices de lithographies d’Alberto GIACOMETTI devaient être qualifiées d’œuvres d’art. La cour d'appel de Paris a considéré que l'intervention du technicien, dont le savoir-faire permet le passage du papier au zinc, excluait leur qualification d'œuvre de l’esprit. En conclusion, en l’absence de définition générale de l’œuvre d’art et en présence d’une définition subjective de la notion d’œuvre de l’esprit, il convient de s’appuyer sur les usages et la jurisprudence afin de savoir si une œuvre est protégeable par le droit d’auteur. Si tel est le cas, l’artiste disposera, outre d’un droit moral perpétuel, d’un droit de propriété sur sa création d’une durée de soixante-dix ans et le principe d’indépendance s’appliquera à cette œuvre d’art. Les seules œuvres pour lesquelles le principe d’indépendance ne s’applique pas sont les œuvres posthumes divulguées soixante-dix ans après le décès du créateur. Dans ce cas, le droit d’exploitation appartiendra aux propriétaires de l’œuvre qui en effectue ou en font effectuer la publication.

Quels sont les conflits suceptibles de naître entre le propriétaire du support de l’œuvre et l’artiste ? – Un conflit récurrent a trait à la détermination du véritable propriétaire du support de l’œuvre. Tel est le cas en présence d’un artiste et de la société qui va le produire ou l’éditer. Ainsi, a-t-il été jugé que les bandes mères des chansons enregistrées par un artiste appartiennent au producteur. Plus récemment, dans une affaire opposant un photographe et la société qui l’avait édité, la Cour de cassation a considéré que dès lors « que la société avait financé les supports vierges et les frais techniques de développement », l’éditeur devait être considéré comme le propriétaire originaire desdits supports (C. Cass 28 octobre 2015). La question se pose également entre époux. Si le droit d’auteur reste un droit attaché à son créateur, à qui appartient le support ? La Cour de Cassation semble faire une application stricte du principe d’indépendance entre l’œuvre et son support et considère que l’œuvre d’art créée et divulguée pendant la durée du mariage a vocation à suivre les règles de dévolution légale propre à chaque régime de communauté (Cass. 1re civ., 12 mai 2011). Enfin, ces conflits peuvent se manifester lorsque le propriétaire tente d’exercer ses prérogatives. Si vous souhaitez par exemple exposer votre œuvre en public ou la louer, vous devrez solliciter l’autorisation de l’artiste. De même si vous souhaitez reproduire l’œuvre, par exemple en éditant des cartes postales ou des T-shirts. Il vous sera également interdit de modifier l’œuvre et de la détruire. La ville de HAYANGUE ne pouvait comme elle l’a fait repeindre en bleu la sculpture créée par l’Artiste Alain MILLA et envisager de la déplacer sans l’autorisation du sculpteur. Le seul point sur lequel le droit de propriété prévaudra sur le droit d’auteur réside dans le droit d’accès à l’œuvre. Si vous souhaitez accéder à votre œuvre, il faudra en effet l’accord du propriétaire de l’œuvre. En conclusion, lorsque vous achetez une œuvre d’art, c’est un peu comme si vous invitiez l’artiste à venir vivre chez vous, en tout bien tout honneur !

Ariane FUSCO-VIGNÉ

Avocat à la Cour